Stomie définitive : mes réflexions
Bonjour à tous,
Maintenant deux semaines et demi que j'ai été opérée. Les deux premières semaines de ma nouvelle vie avec une stomie définitive.
Ceux qui ont déjà un peu parcouru ce blog savent que ce n'est pas la première fois que j'ai une stomie. Donc ce n'est pas tellement ça qui est nouveau. Ce qui est nouveau cette fois, c'est la notion de "définitif".
En pratique, d'un point de vue chirurgical, pour moi qui aie une RCH, avoir une stomie définitive signifie :
- mon intestin (iléon pour moi) arrive sur mon ventre au niveau d'une stomie terminale (et non latérale) :
- le réservoir en J et l'anastomose iléo-anale (AIA) sont amputés
- mon anus est suturé mais les tissus le constituant sont conservés (il me semble que ça peut être différent en cas de cancer. Le chirurgien peut alors avoir besoin d'enlever l'anus dans sa totalité).
Il n'y a donc plus aucun lien entre mon anus et mon intestin. Et ceci est définitif. On ne pourra jamais me reconnecter. On ne pourra plus jamais envisager de rétablissement de la continuité digestive (on mange par la bouche et on fait caca par l'anus.).
Ceci implique plusieurs choses.
Dans un premier temps, c'est cette histoire de définitif, d'irréversibilité qui me faisait peur. L'idée que je ne pouvais plus revenir en arrière. J'avais peur de me tromper en prenant cette décision (oui c'est moi qui ai pris la décision, je reviendrai là-dessus plus tard). Mais avec le temps, c'est devenu un point positif. Je m'explique : définitif comme permanent, comme durable, comme prévisible. C'est vrai que jusqu'à présent, l'idée de provisoire m'a toujours un peu rassurée. Si ça ne ce passait pas bien -et ça ne s'est pas très bien passé pour moi, soyons honnête-, je me disais toujours : "Allez, serre les dents, c'est provisoire.". Mais mon expérience m'a montré que ce provisoire, cet état inconfortable oscillant entre difficile et insupportable, pouvait durer bien plus que prévu : les semaines se transformant en mois, les mois en années. Les projets toujours en stand-by et systématiquement étiquetés "plus tard", "ce n'est pas le moment". C'est donc tout naturellement, sans que j'y réfléchisse particulièrement, que l'adjectif "définitif" a pris pour moi la définition de "à partir de maintenant et pour toujours". Redonnant sa vraie valeur à la temporalité de ma vie. Les projets redevenaient possibles. La stomie définitive serait mon nouveau départ. Plus d'essais, plus de tentatives, plus d'espoir déçus, juste de nouvelles cartes pour construire une nouvelle vie ou plutôt pour reprendre MA vie. Et enfin construire l'après.
Une autre conséquence essentielle de cette opération est la modification du schéma corporel. Et ce, on y revient, de façon définitive et non seulement le temps des traitements, de la prise en charge médicale (stomie provisoire qui dans ce cas deviendrait in fine une cicatrice de plus sur le ventre) mais pour toute la vie, celle de tous les jours, pour toujours toujours.
Je vais donc devoir vivre avec une stomie. Mes selles vont maintenant arriver dans une poche sur mon ventre et non plus être évacuées naturellement par l'anus. Bon. Perso, ça ne me pose pas trop de problème. D'autant que mon copain m'a toujours montré du désir, stomie ou non. Il a continué à aimer mon corps malgré toutes les chirurgies, toutes ses modifications que ce soient des stomies ou des cicatrices. Et je crois que ça m'a terriblement aidé à avoir l'impression que ça ne changeait rien du tout finalement. De plus, j'ai été stomisé près de 2 ans au cours des 4 dernières années donc je me suis vraiment habituée à ce nouveau fonctionnement, à ce nouveau schéma.
Autre modification notable : plus d'orifice au niveau de l'anus car celui-ci est suturé. Alors voila, une raie des fesses sans anus. Est-ce si gênant ? Niveau sexualité, c'est sûr, fini les petits doigts mais en même temps, après tout ce que j'ai vécu (dilatations, interventions, sutures...), ce n'est vraiment pas un truc qui va me manquer. Et puis en plus, avec l'AIA super basse, je ne suis pas sure que c'était très recommandé. Et surtout, surtout, est-ce que ça vaut le coup d'avoir un schéma corporel visiblement intact si c'est pour galérer (au mieux) ou souffrir au quotidien ? Si c'est pour ne pas vivre ? Si c'est pour ne pas pouvoir sortir de chez soi ? Je pense qu'il y a une question importante qu'il faut se poser : pour qui veut-on garder un schéma corporel visiblement intact : pour soi ? ou pour les autres ? pour être comme les autres ? pour redevenir "normal" ? pour vouloir sortir de tout ça et retrouver son corps comme avant ? pour pouvoir oublier que tout ça s'est produit ? que notre corps a enduré tout ça ? Mais de toutes façons, notre corps, lui, n'a pas oublié. Et à l'intérieur, comme à l'extérieur, les cicatrices sont là. On a vécu tout ça. Et non, je pense que je n'oublierai jamais que j'ai vécu des choses que la plupart des gens autour de moi n'ont pas vécu. Que mon corps a enduré des choses que peu de gens ont enduré. Si la solution pour sortir de ce long cauchemar, c'est la stomie définitive, il n'y a pas de question à se poser ; ou plutôt, la réponse à cette question est naturelle. La qualité de vie est à mes yeux mille fois plus importante que le fait d'avoir le même corps que la plupart des gens. Alors oui, je ne fais plus caca comme tout le monde. Et alors ?